Qui n’a déjà éprouvé ce sentiment désagréable d’avoir scrollé toute une soirée sur son smartphone sans même s’en apercevoir ? A l’ère de l’hyper-sollicitation et l’hyper-stimulation, voici cinq étapes clés pour se prémunir de la dispersion mentale, et reprendre le contrôle de sa vie intérieure.
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Il est connu que les perturbateurs endocriniens ont un impact néfaste sur la santé. Mais avons-nous pris conscience de l’importance tout aussi réelle des "perturbateurs de l’intériorité" (PDI) ? Selon le psychanalyste Jean-Guilhem Xerri, à l’origine de cette expression, nous sommes chaque jour saturés de bruits, d’images digitales, d’un flux continu d’informations et de publicités, qui sont tout aussi "polluants" que leurs homologues endocriniens. Ces "PDI" ont des effets pathogènes sur notre croissance physique, intellectuelle et spirituelle. Ils appauvrissent la qualité de notre présence à nous-même et aux autres. Il ne s’agit certes pas d’aller s’enfermer dans une grotte et de devenir ermite loin de toute vie sociale, mais de reprendre un certain contrôle sur les tentations de surconsommation et d’hyper-connexion, afin de protéger notre intériorité.
1. Dépolluer son intériorité
Selon Jean-Guilhem Xerri, auteur de l’ouvrage (Re)vivez de l'intérieur (Les Editions du Cerf, 2019), nous avons tout intérêt à identifier nos propres perturbateurs d’intériorité, différents en fonction de chaque personne, et à décider de limiter leur influence en instaurant de nouvelles habitudes plus saines. Par exemple, si nous constatons une addiction à notre smartphone, nous pouvons envisager de limiter son usage, en instaurant des zones sans téléphone comme la salle à manger et la chambre. Autre exemple, si nous sommes très influencés par les publicités et poussés à la surconsommation, nous pouvons attendre trois jours avant de finaliser notre achat, afin de mûrir notre décision et d’éviter tout achat compulsif.
L’objectif de ces mesures de "dépollution intérieure", est de reprendre un juste contrôle de notre temps, de notre énergie mentale, et de sortir du cycle du consumérisme pour de nouveau "prêter attention à la beauté" selon les mots du pape François dans son Encyclique Laudato Si (paragraphe 215).
2. Améliorer la présence à soi-même et aux autres
Une deuxième étape dans la reprise en main de notre vie intérieure est de développer un état de vigilance vis-à-vis de nos pensées. Selon des chercheurs canadiens en neurosciences cognitives de la Queen’s University, chaque personne formerait en moyenne 6.200 pensées par jour. Autant d’occasions, si nous n’y prenons garde, à être distraits, perturbés et éloignés de nous-même et des autres.
C’est pourquoi, avant la pratique moderne de la méditation "de pleine conscience", les Pères du désert au IVème siècle, ont invité leurs contemporains à développer l’attention à soi-même, à observer leurs pensées, à scruter leurs jugements, ruminations et émotions. Ils préconisent la vigilance permanente (du grec ancien νῆψις / nêpsis), afin de ne pas se laisser emporter, malgré soi, par des pensées négatives ou malveillantes.
Evagre le Pontique résume ainsi cet art de l’attention et de la vigilance : "Sois le portier de ton cœur et ne laisse aucune pensée y entrer sans l’interroger ; interroge chacune des pensées et dis-lui : ‘es-tu des nôtres ou es-tu de nos adversaires ?’".
Comme nous l’apprennent les Pères du désert, nous ne pouvons pas toujours empêcher les pensées distractives ou négatives qui surgissent dans notre cœur. En revanche, nous pouvons choisir de ne pas les provoquer par des stimulations volontaires (visuelles, auditives, etc.), ou encore de ne pas les alimenter en refusant de discuter avec elles.
Concrètement, il peut être judicieux de se choisir un mot ou un verset biblique pour couper court aux ruminations (pensées en boucle négative qui ne mènent à rien). Par exemple, si nous avons tendance à beaucoup nous inquiéter, nous pouvons stopper ces pensées d’inquiétude soit par un "stop !" soit en citant un verset comme "Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix" (Jn 14, 27) ou "Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps, de quoi vous serez vêtus. La vie n'est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ?" (Mt 6, 25). Cela demande certes un petit effort de mémorisation mais qui portera bien vite ses fruits dans notre vie.
3. Prendre conscience de ses déséquilibres intérieurs
Une troisième étape dans la reprise de contrôle sur notre vie intérieure est de prendre conscience de nos éventuels déséquilibres. Le XXIème siècle est le siècle des "maladies de l’intériorité" selon l’expression de Jean-Guilhem Xerri. Troubles dépressifs, anxiétés généralisées, addictions diverses constituent, par leur ampleur, un enjeu de santé publique. La France fait d’ailleurs partie des plus gros consommateurs d’anxiolytiques au monde, selon les données de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees).
Ces dysfonctionnements intérieurs sont certes amplifiés par nos modes de vie contemporains propices à exciter nos avidités et à nous éloigner de Dieu. Toutefois, les Pères du désert avaient déjà dressé à leur époque le portrait, toujours d’actualité, des maladies "noopsychiques" (troubles psychiques d’origine spirituelle). Selon eux, elles se caractérisent par une rupture de l’équilibre entre le corps, l’âme et l’esprit. Elles peuvent se traduire par des rapports pathologiques à l’argent, au sexe et au pouvoir, ou encore par un sentiment de mal être profond.
Donnons ici quelques exemples contemporains : la surconsommation effrénée, le narcissisme alimenté par les réseaux sociaux, la dépendance aux écrans, au travail, à la cyberpornographie ou encore aux jeux vidéo.
Que faire si nous nous voyons sombrer peu à peu dans une telle souffrance psychique et spirituelle ? Il n’est dans ce cas presque plus efficace de s’en remettre à la seule méthode de "la garde du cœur". Ici, le cœur a déjà baissé sa garde depuis longtemps et est envahi de pensées obsessionnelles quasi incontrôlables.
Il est donc nécessaire d’entamer un travail thérapeutique avec un professionnel de la santé, afin de passer du mode "pilote automatique" à une reconnexion à sa conscience éclairée, à ses valeurs, à la réalité. En parallèle, un accompagnement spirituel peut aussi contribuer à libérer la parole, panser les blessures et à recouvrer sa liberté d’enfant de Dieu. Par la suite, l’âme ainsi fortifiée pourra reprendre, seule, le combat spirituel, armée de la vigilance intérieure préconisée par les thérapeutes du désert.
4. S'émerveiller devant la beauté de la nature
Un quatrième moyen pour se reconnecter à sa vie intérieure est de consacrer du temps à contempler la nature et à s’émerveiller de sa beauté et de Celui qui en est l’origine, Dieu Lui-même. Comme le souligne Jean-Guilhem Xerri dans son ouvrage (Re)vivez de l’intérieur, "la nature n’est pas qu’une ressource à exploiter ou à domestiquer, ni même qu’un lieu d’actions sportives ou un espace à protéger. Elle est une compagne et elle appelle notre attention intérieure, afin d’y percevoir l’essence spirituelle qui la traverse."
En nous laissant toucher par un massif montagneux, l’océan ou tout simplement par les pirouettes audacieuses d’un écureuil dans un parc urbain, nous élevons nos sens corporels à leur vraie vocation : celle de servir d’échelle, selon les mots de saint Bonaventure, "pour se hausser à atteindre Celui qui est la Vie" (La vie de saint François d’Assise). Ainsi, le biographe de saint François d'Assise et futur saint Bonaventure nous exhorte-t-il à suivre la voie de François en nous réjouissant de tous les ouvrages "sortis des mains de Dieu", et grâce à ce spectacle, à remonter "jusqu’à Celui qui est qui est la cause et raison vivifiante de l’univers".
5. Développer ses sens intérieurs
Reprendre le contrôle de notre vie intérieure exige finalement de faire un choix : celui de privilégier ce qui va élever son âme au détriment de ce qui l’avilit. La vigilance intérieure est une prise de conscience nécessaire. Mais nous sommes invités à aller encore plus loin que la simple "garde du cœur" dans une société effrénée.
Honorer notre vie intérieure et par là Dieu Lui-même, c’est aussi réaliser que nous ne serons pleinement humains et vivants que si nous développons nos "sens spirituels", selon l’expression d’Origène, un des premiers Pères de l’Eglise né à Alexandrie vers 185.
De la même façon que nous pouvons ressentir de la gratitude en regardant un magnifique panorama, en écoutant une belle musique, en humant une odeur agréable, nous pouvons aussi recourir à nos sens spirituels pour nous mettre à l’écoute de Dieu notre Père, goûter sa bonté (Psaume 34, 9) ou encore toucher et nous laisser toucher par Jésus. C’est ainsi, que dès ici-bas, nous verrons s’accomplir la promesse du Christ dans l’Apocalypse (Ap 3, 20) : "Si quelqu’un entend ma voix et m’ouvre la porte, j’entrerai chez lui, et je souperai chez lui, et lui avec moi".
Référence
(Re)vivez de l'intérieur de Jean-Guilhem Xerri, Les Editions du Cerf, 2019.